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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

capitaliste qui, directeur souverain de la fabrique, sans aucune participation des travailleurs dans la gestion des affaires, devrait porter à lui tout seul la responsabilité et les tristes conséquences d’un insuccès ? — D’ailleurs, comment les économistes justifient-ils devant le tribunal de la morale la légitimité du simple 5 %, sinon en alléguant que cet intérêt est nécessaire pour couvrir le capital contre la possibilité du naufrage ? La prime d’assurance est, disent-ils, comprise dans le loyer de l’argent. Au capitaliste, réclamant de ce chef la totalité des bonis, ne devrait-on pas dire : « Passez, l’ami, on vous a déjà donné ? » —

Ensuite, la totalité des pertes survenues dans plusieurs périodes déterminées n’étant qu’une fraction sensiblement constante de l’ensemble des bénéfices, l’objection ci-dessus ne prouverait qu’une chose, c’est qu’il serait désirable qu’on étendit au commerce et à l’industrie le privilège de l’assurance, comme il a été souvent proposé. — Et enfin, quelle difficulté sérieuse y aurait-il à ce que, des pertes survenant dans une entreprise, le capitaliste continuât, comme par le passé, son industrie du crédit et son métier de bailleur de fonds, sauf par lui à joindre ses nouvelles avances à son apport primitif, pour lesquelles il réclamerait des intérêts supplémentaires à 5 %, plus une part proportionnelle dans les gains futurs ?


Maintenant que nous croyons avoir écarté les objections sérieuses contre l’assimilation, dans le partage des bénéfices, de l’ouvrier à un actionnaire, nous reconnaissons volontiers ne pas attribuer à cette solution la valeur d’une panacée sociale, douée des effets les plus prompts et les plus énergiques. Tant s’en faut ! — Qu’elle soit adoptée par nos financiers, nous n’avons pas non plus la naïveté de le croire ; car il serait contre toute expérience qu’habitués, comme ils le sont, à faire manœuvrer leurs ouvriers comme des capitaines leurs soldats, habitués surtout à garder pour eux tout seuls les produits de l’œuvre commune, ils puissent avoir la sérieuse volonté d’associer leurs subalternes dans les profits et dans la direction. — Sans doute, nous croyons qu’ils feraient bien de le vouloir ; mais, comme il est impossible qu’ils le veuillent, ce n’est point à eux particulièrement que nous désirons soumettre le résultat de cette étude, mais plutôt aux jeunes travailleurs qui voudraient entrer résolûment dans les voies de l’avenir. — Il nous paraît que, dans notre organisation industrielle, l’ancien et le nouveau système pourraient coexister parfaitement, le premier répondant aux besoins déjà connus et marchant selon la tradition qui lui est propre, tandis que le second s’engagerait dans la voie des nouvelles expériences. Voilà deux arbres côte à côte ; l’un est issu de l’autre. Il y a place pour les deux au soleil. Laissons l’ancien vieillir à son aise et produire encore ses fruits, tant que la sève circulera dans ses branches déjà paralysées peut-être, et laissons aussi le nouveau venu développer à son aise ses jets vigoureux et ses pousses verdoyantes.