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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

ficile où ils sont engagés aujourd’hui. Il est certain que, dès la fin de la crise cotonnière, tous les efforts des ouvriers se porteront sur la création de manufactures à eux appartenant, où la part du travail et du capital sera fort diversement établie. Le peuple n’étant pas le moins du monde porté aux révolutions violentes, le peuple ayant, au rebours de ce que plusieurs ont affecté de croire, une horreur superstitieuse des bouleversements religieux, politiques, économiques et sociaux, il n’est pas probable qu’il profite de la liberté dont il jouit en Angleterre pour faire jamais tort au capital. L’exemple des manufacturiers soi-disant coopérateurs de Rochdale nous prouve surabondamment que, s’il se commet une exagération, elle ne se fera pas en faveur du plus pauvre. Pour convertir le peuple des ouvriers à un système qui fisse au travail une part simplement équitable, il faudra de nouveaux progrès en intelligence et en moralité. À mesure que le peuple se fera capitaliste, il tendra, comme tous les parvenus, à exagérer ses nouveaux droits. Les classes aisées de l’Angleterre n’ont donc aucune appréhension à avoir de ce côté ; si elles sont à se défendre, ce sera seulement contre la ferveur de leurs recrues.

Ces temps sont encore loin. En attendant, une terrible crise, dans laquelle s’engouffre une partie notable de la richesse de la Grande-Bretagne, a suspendu le développement des manufactures coopératives, mais elle n’a point arrêté les progrès des Stores. Les magasins sociétaires se trouvent être une institution bonne en tout temps. Quand le commerce et l’industrie vont bien, les Stores sont un nouvel élément de prospérité, et, en temps de crise, ils sont un moyen de salut.

Leur organisation semble presque parfaite aujourd’hui. Quelques réformateurs cependant s’occupent de déterminer la proportion normale du capital au chiffre d’affaires. Ce n’est pas que l’on ait commis d’imprudences matérielles. Encore une fois, les sociétés n’opérant qu’au comptant ne peuvent faire que des pertes insignifiantes ; mais l’on s’est aperçu, que les associations pouvaient posséder trop de capital, et que des actionnaires pourvus d’un trop grand nombre d’actions poussaient à l’exagération des dividendes. Le scandale occasionné par l’apostasie des ouvriers capitalistes de Rochdale a fait comprendre qu’une entreprise dans laquelle des individus jouissent d’une influence exagérée est bientôt détournée de son but d’intérêt général, pour être désormais exploitée au profil de quelques intérêts particuliers. Supposons que les deux cents actions d’un magasin sociétaire soient réparties entre cent un actionnaires, dont cent ne portant chacun qu’une seule action, et un seul, détenteur de cent actions pour sa part. Ce dernier, ne dépensant pas plus qu’un consommateur moyen, réduit le dividende de ses coactionnaires de 50 %. Mais si des acheteurs du dehors venaient prendre sa place, le dividende serait augmenté de 100 %. Cet exemple vraiment élémentaire prouve une fois de plus que l’enrichissement exagéré d’un seul tend à l’appauvrissement