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élopements.

précipitent sur une fille : « La belle, il faut nous suivre ! » Bon gré, mal gré, ils l’entraînent au pas de course et gagnent le large. Le public s’abstient de toute intervention matérielle, mais il applaudit si le gars et la garse sont bien découplés et de belle tournure. Nantis de l’objet convoité, — beati possidentes, — les ravisseurs rouvrent les négociations sur de nouvelles bases, et force est aux parents d’en rabattre.

Trois jours après son enlèvement, la Sabine fuit le toit conjugal et se réfugie chez les parents qui l’ont vendue. L’époux arrive et redemande son bien, l’épouse pleure et crie, tape, mord, égratigne et finit par suivre ce brigand d’homme — à son corps défendant, bien entendu, car le monstre s’est fait accompagner d’une bande tapageuse, qui se donne de grands airs menaçants ; — il faut céder, car, si on les poussait à bout, qui sait les extrémités auxquelles ces chenapans pourraient se livrer ? En définitive, toutes les convenances ont été observées, la jeune femme a fait étalage de sentiments filiaux, et le jeune mari s’est montré épris de sa conquête, tout farouche et mal subjuguée qu’elle paraisse.

Une loi salique, aussi juste et intelligente que celle qui régissait naguère le beau royaume de France, interdisait à la Khonde de détenir aucun avoir, par la raison : « Inapte à défendre, inapte à posséder. » Forclose de la propriété, par suite déchue de tout droit, la femme ne disposait pas même de sa personne, puisqu’elle avait été capturée et emmenée de force. Mais il importe peu que la propriété soit déniée à qui peut s’emparer du propriétaire. La fille d’Ève n’y a point manqué, et, malgré l’orteil brutal qui lui a raclé le talon, elle n’est rien moins qu’une esclave, et