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Page:Recueil de la Société d’agriculture du département de l’Eure, série 4, tome 5, 1881.djvu/442

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il se fût probablement rendu à cet appel de l’amitié, mais il savait que son père le destinait depuis longtemps à lui succéder dans son office des Gabelles et il se résigna à revenir à Bernay, dût-il s’y ennuyer, comme le supposait Cideville.

Ses relations avec Linant s’étaient continuées même après son retour à Bernay ; mais, celui-ci ne prenait de la vie que ce qu’elle avait d’agréable ; il était de l’opinion de Formont, qui disait que le plaisir était la seule affaire sérieuse qui dût retenir un homme raisonnable[1]. Aussi Linant ne comprenait-il pas que Bréant, pour complaire à la volonté de son père, ne quittât point le travail et ne s’empressât d’accourir auprès de ses amis réunis à Canteleu chez Formont, où les plaisirs et les fêtes se succédaient, où la vie s’écoulait gaiement. Bréant s’en consolait en faisant des vers qu’il envoyait à ses amis, mais cela ne faisait pas l’affaire de Linant : « Ma foy, mon charmant amy, lui écrivait-il, tes vers sont trop jolis pour que tes sentiments soient bien tendres. Est-ce qu’on est si geay (sic) quand on manque l’occasion de voir des amis comme tu en as à Canteleu ? En vérité, on ne peut guères faire que des vers plats ou du moins fort tristes. Il me paroît que tu prends cette défense paternelle bien plus en patience que nous ; cela n’est pas bien et s’il était possible de te haïr, ce serait déjà une affaire faite. Il faut donc me résoudre à te ne voir qu’à Pâques. Ah ! maudits parents, mon cher petit amy, accoutume toi de bonne heure à regarder les amis comme les meilleurs parents qu’on puisse avoir et les seuls à qui il soit doux de plaire. Un père nous aime toujours tels qu’il nous a faits et un ami ne nous choisit que quand nous sommes aimables. L’un nous donne la vie et l’autre nous la rend agréable. Voilà comme j’envisage M. de Voltaire, il m’aime en père et je l’aime en fils… » [2]

  1. Lettre de Formont à Bréant du 18 novembre 1757.
  2. Lettre sans date de Linant à Bréant.