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Page:Recueil de la Société d’agriculture du département de l’Eure, série 4, tome 5, 1881.djvu/447

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car voilà à quoy il est borné. Je n’ai rien fait qui montre du génie et sans cela on n’est point poète, on n’est que rimeur, on peut faire de jolies choses, mais jamais de grandes choses. Epargnés moi donc, je vous prie, Monsieur et cher ami, des éloges qui sont trop séducteurs de la part d’un aussi bon connaisseur que vous. Je ne vous rends pas la pareille, je ne vous loue point, je ne vous en estime et ne vous en aime pas moins ; faites de même, aimés moy et me le dites, estimés moy et ne m’en dites mot, de peur de me gâter.[1]

Cette défiance de lui-même n’était pas sans inconvénient, elle le rendait timide, hésitant, même dans les affaires sérieuses, c’est ce qu’il exprimait à Formont dans la lettre plaisante que voici :

« Vous êtes, dites-vous, honteux, Monsieur, de répondre si tard à mon Compliment, je devrais l’être bien davantage de vous l’avoir adressé si tard, et votre honte est bien déplacée vis-à-vis du plus paresseux des hommes. Ne sçavès vous pas, monsieur, que tout ce que je fais, je le fais toujours trop tard, je me rends bien justice là-dessus, mais il est trop tard de m’en corriger. J’ai toute ma vie pensé trop tard, parlé trop tard, agi trop tard. Souvent dans la conversation il me vient des pensées dont je suis assés content, mais elles viennent trop tard, l’à propos est passé, le temps a émoussé la pointe de l’épigramme, quand j’ai eu des grâces à demander, j’ai toujours parlé trop tard, elles étaient accordées à d’autres. Je me suis quelques fois promené dans les jardins de Cythère, j’ai cueilli des fleurs, mais les premières n’ont jamais été pour moy, je m’y suis toujours pris trop tard. Il m’est arrivé même de ne plus trouver que des épines où je pensais trouver des roses………………………

Je me couche trop tard pour ma santé, je me lève trop tard pour mes affaires ; j’arrivai hier à la messe trop tard et vous

  1. Lettre de Bréant à du Boullay du 16 avril 1766.