Page:Reid, À fond de cale, 1868.djvu/28

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avoir été frappé de leur réserve à cet égard ; quelques-uns allaient même jusqu’à nier l’existence du courant, tandis que les autres se contentaient d’affirmer qu’il était inoffensif. J’avais remarqué néanmoins qu’ils ne permettaient pas à leurs enfants de se baigner à cet endroit.

Ce ne fut que plus tard, lorsqu’après quarante années d’aventures, je revins au lieu de ma naissance, que je devinai le motif de la réserve de mes concitoyens. Notre village est, comme vous savez, l’un des points de la côte où l’on prend des bains de mer, et il doit une partie de sa prospérité aux baigneurs qui viennent successivement y passer quelques semaines. On conçoit dès lors que si la baie avait une mauvaise réputation, on n’aurait plus personne, et il faudrait renoncer au bénéfice que nous procurent les bains. C’est pourquoi les sages de la commune vous estiment d’autant plus que vous parlez moins de leur courant.

Toujours est-il qu’en dépit des négations de nos prudents villageois, il m’arriva de me noyer dans la baie.

« Pas tout à fait, direz-vous, puisque vous n’êtes pas mort. » Je n’en sais rien ; la chose est fort douteuse. Je n’avais plus ni le sentiment de la vie, ni celui de la douleur : on m’eût coupé en mille morceaux que je ne l’aurais pas senti ; et je ne serais plus de ce monde, à dater de cette époque, si quelqu’