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guettes ; du moins je ne le pouvais qu approximativement ; ce qui ne suftisait pas. Ainsi toutes les peines que j’avais prises restaient inutiles, tant que je n’avais pas mesuré mes mesures elles-mêmes.

Cette difficulté paraissait vraiment insurmontable. Si vous considérez en effet que je n’avais ni toise, ni pied, ni échelle graduée d’aucune sorte, vous en conclurez naturellement que j’aurais dû renoncer à mon problème. Croyez-le bien cependant, je ne me serais pas donné le tracas de fabriquer mes baguettes et de prendre avec autant de soin mes mesures, si je n’avais prévu la difficulté et trouvé le moyen de la vaincre. Je savais d’avance que je pourrais mesurer mes baguettes et déterminer leurs dimensions avec une exactitude mathématique.

Je n’avais pas de toise sur moi, vous disais-je tout à l’heure ; c’est la vérité, mais n’en étais-je pas une moi-même ? Vous vous souvenez qu’en me mesurant je m’étais trouvé quatre pieds juste. Comprenez-vous tout le parti que je pouvais tirer d’une pareille connaissance ? En donnant à l’une de mes baguettes une longueur précisément égale à ma taille, j’obtenais immédiatement une règle de quatre pieds. Rien de plus facile. Je m’étendis horizontalement sur le dos, la plante des pieds appuyée sur une varangue, la baguette parallèle à mon corps, reposant, d’une part, sur la varangue entre mes deux pieds, et de l’autre, sur mon front qu’elle dépassait. Alors je déterminai avec les doigts le point précis de ma baguette correspondant à mon ventre, et j’y fis une coche avec mon couteau.

Ce n’était pas pourtant le dernier obstacle que j’eusse à surmonter. À vrai dire, je n’étais guère plus avancé qu’auparavant. Je pouvais déjà sans doute apprécier plus approximativement les dimensions de ma futaille, mais non avec une exactitude suffisante. Il m’était nécessaire de les connaître en pouces et même en fractions de pouces, car, une erreur d’un demi-pouce fait une différence de plusieurs gallons. Comment m’y prendre alors pour diviser ma baguette en pouces, et y marquer les divisions ?

Cela vous semble bien facile, n’est-ce pas ? La règle de quatre pieds, divisée en deux, donne deux pieds dont la moitié est un pied. En partageant le pied en deux, on obtient un demi-pied ou six pouces, dont la moitié est trois pouces. Enfin il suffit de diviser cette dernière longueur en trois parties égales pour obtenir le pouce.

Oui, tout cela parait bien simple en théorie ; mais comment le mettre en pratique sans une baguette unie et au milieu des ténèbres les plus épaisses ? Comment trouver le milieu exact de cette baguette ? car il fallait que ce fut absolument exact. Comment surtout la diviser et la subdiviser avec précision jusqu’aux pouces inclusivement ?

J’avoue que je restai quelque temps dans l’embarras et qu’il me fallut sérieusement y réfléchir ; je finis pourtant par en sortir.

Voici ce que j’eus l’idée de faire :

Je coupai une troisième baguette ayant un peu plus de deux pieds, ce dont je pouvais facilement juger à quelques pouces près ; je l’appliquai sur la baguette de quatre pieds en ayant soin de faire correspondre les deux extrémités des deux baguettes, et procédant comme si je voulais mesurer la grande avec la petite. Il se trouva naturellement d’abord que deux longueurs de la petite excédaient la longueur de la grande. Raccourcissant alors ma nouvelle baguette, je recommençai l’opération. Cette fois, la différence fut moins sensible. En répétant l’opération, je parvins à rendre ma petite baguette juste la moitié de la grande, ce qui me permit de partager celle-ci par une coche en deux parties exactement égales.

Tout cela demandait du temps, de la patience et de la précision et j’eus bientôt recours à un nouveau procédé qui, tout en exigeant une égale précision, devait me conduire plus rapidement au but. Il consistait à me servir d’un cordon au lieu d’une baguette pour opérer mes divisions et subdivisions. Je pensai pour cela aux lacets de cuir de mes chaussures : je n’aurais certes rien pu trouver de mieux ; ils étaient si peu élastiques, qu’une règle de buis ou d’ivoire ne m’eût pas donné de mesure plus exacte. Un seul lacet ne suffisant pas, je les nouai tous deux solidement, ce qui me donna une corde de plus de quatre pieds ; j’appliquai alors cette corde avec beaucoup de soin le long de ma baguette en la tendant le plus possible et je coupai l’excédant. Cela fait, j’assemblai les deux bouts de la corde et, coupant celle-ci juste au milieu, j’obtins deux longueurs de deux pieds chacune. L’une de celles-ci, divisée en deux, me donna la longueur d’un pied. Je pliai ensuite