Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/56

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et un croissant doré, dans un chocolat qui embaumait les deux hommes, chacun rêveur au-dessus d’un verre de blanc. Elle était dans la mode ; elle dit avec impertinence :

— Quand la vie monte, il n’y a que les idiots qui sont victimes ! Il faut avoir l’œil et pas perdre de temps. Moi, on m’augmente le feutre, la paille, les rubans : j’augmente les chapeaux. La demoiselle qui passe, et m’en achète un, n’a plus qu’à augmenter son petit ami !

— Mais lui, le petit ami, si il sait pas se faire augmenter ? dit l’un des hommes avec une moue.

— Eh bien, c’est un serin ! répondit la modiste en riant. À cache-cache, il y a toujours un serin qui reste en plan. C’est pareil dans la vie !

De tels propos s’échangeaient près de Saint-Roch, où est enterré Corneille, mais Corneille n’entend plus. La demoiselle finit son chocolat, se lécha les babines, et fit « bonsoir ! » avec un trémoussement qui fit dire aux deux hommes :

— On n’est pas de taille !

Puis ils me dévisagèrent. Un mouchoir dans la poche : ils se dirent : « C’est un fasciste ! » D’ailleurs, je leur trouvais des airs rancuniers ; je me dis : « Hum !… Communistes ! » L’un d’eux, qui n’avait pas de regard, le visage fermé, un peu comme un dos, venait