Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/57

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de lire des « artiques » dans le Journal des postes (il était postier) et restait dans l’admiration du discours d’un sous-secrétaire d’État, qui avait affirmé que les progrès de la Science sont indéfinis, et qu’on vit une période simplement transitoire. Il dit à son ami, en me regardant de côté :

— Une supposition que t’aies la cambuse à balayer. Viendra un jour où t’auras plus besoin de balai. T’appuieras sur un bouton : ça se balaiera ! Et pareil dans tous les travails !

Pour la première fois, je sentis l’irrésistible envie de parler. Je pris mon air le moins agressif pour demander :

— Quand on ne travaillera plus… qu’est-ce qu’on pourra bien faire ?

Ah ! Dieu ! Comment les peindre ? Ils se dressèrent, le sang au visage, et répondirent en chœur :

— On s’instruira !

C’était l’annonce d’une foi, d’un culte ! J’allais fuir, quand le postier reprit :

— La Science dissipe les mystères. Nous sommes matérialistes et biologiques !

Je m’inclinai.

— Le malheur, remarquai-je, c’est que la matière est mystérieuse…

Le postier s’avança comme pour une exécution :

— La matière est un peu plus prospectée, tous les jours !