Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/73

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dans une cage, au centre de l’usine. On l’aperçoit à travers des vitres. Il est penché sur un moteur, qui tourne à toute vitesse. L’usine tournant aussi fait un bruit à crever le tympan, et avec une attention éperdue, cet homme, ingénieur et ingénieux, essaye de créer du silence !

— Ah ! dis-je, c’est fantastique ! Comment peut-il entendre… qu’il n’entend plus ?

— Ici, dit Lévi-Prune, il n’y a jamais de difficultés.

« Pourvu, pensai-je, qu’il meure facilement ! »

Là-dessus, je fus invité à déjeuner (c’était compris dans les trois heures et quart) et Lévi-Prune annonça même qu’il me conduirait à son magasin de vente, au rond-point des Champs-Élysées.

— J’ai un bureau comme vous n’en avez jamais vu !

Le déjeuner, rue Royale, fut rapide et excellent. Lévi-Prune, à table comme à l’usine, est précis. Quelques idées ; pas de sentiments. Il en a un, qui lui suffit : celui de la réussite. Il résuma les visites des usines. Je lui demandai quel intérêt il portait aux ouvriers. Il répondit vivement :

— Énorme ! Ma grande pensée, c’est que chaque ouvrier devrait avoir son « petit pruneau ». J’ai trente mille ouvriers, ce qui ferait trente mille pruneaux à fabriquer en plus !