Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
GASPARD

de songer à la bataille, qui était pour lui comme pour ses hommes, l’inconnu, il pensait : « Mon premier devoir est de m’occuper de leur nourriture et de leur entraînement. » Il ne disait donc pas : « Soldats… la Patrie… la Gloire… le Drapeau… le Sacrifice… le Sang versé… » Non ; il disait : « Mes enfants, avez-vous du philopode ? Les pommes de terre sont-elles cuites ? Tous les hommes ont-ils touché leurs vivres de réserve ? »

Cette sollicitude, d’ailleurs, n’était pas comprise. Le peuple français est amateur de discours un peu ronflants. Ce chef, à la conscience méticuleuse, toujours occupé de détails terre à terre, ne satisfaisait pas, chez ses deux cent cinquante soldats, le goût du panache, que les Parisiens surtout ont dans la moelle des os. Il les fatiguait par ses questions. Et eux ne voyaient pas le bien-fondé de ce contrôle et de ces attentions.

Quand à quelques kilomètres de l’ennemi, il commanda des exercices avec la même lenteur minutieuse que si la guerre n’était qu’une hypothèse lointaine, il se heurta à une mauvaise humeur têtue. Les hommes ronchonnaient :

— Ah ! salut !… On n’est pas ici pour faire le Jacques ?… Pourquoi aussi qu’il nous ferait pas astiquer nos boutons !

On n’avait pas touché de tripoli : sans cela il y eût songé… Car l’astiquage, pour le capitaine