Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/114

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car on ne tarderait sans doute pas à s’apercevoir qu’une entente simplement extérieure et « diplomatique » serait illusoire et ne pourrait avoir les conséquences voulues, de sorte qu’il faudrait bien en venir à ce par quoi on aurait dû normalement commencer, c’est-à-dire à envisager l’accord sur les principes, accord dont la condition nécessaire et suffisante serait que les représentants de l’Occident redeviennent vraiment conscients de ces principes, comme le sont toujours ceux de l’Orient. La véritable entente, redisons-le encore une fois, ne peut s’accomplir que par en haut et de l’intérieur, par conséquent dans le domaine que l’on peut appeler indifféremment intellectuel ou spirituel, car, pour nous, ces deux mots ont, au fond, exactement la même signification ; ensuite, et en partant de là, l’entente s’établirait aussi forcément dans tous les autres domaines, de même que, lorsqu’un principe est posé, il n’y a plus qu’à en déduire, ou plutôt à en « expliciter », toutes les conséquences qui s’y trouvent impliquées. Il ne peut y avoir à cela qu’un seul obstacle : c’est le prosélytisme occidental, qui ne peut se résoudre à admettre qu’on doit parfois avoir des « alliés » qui ne soient point des « sujets » ; ou, pour parler plus exactement, c’est le défaut de compréhension dont ce prosélytisme n’est qu’un des effets ; cet obstacle sera-t-il surmonté ? S’il ne l’était pas, l’élite, pour se constituer, n’aurait plus à compter que sur l’effort de ceux qui seraient qualifiés par leur capacité intellectuelle, en dehors de tout milieu défini, et aussi, bien entendu, sur l’appui de l’Orient ; son travail en serait rendu plus difficile et son action ne pourrait s’exercer qu’à plus longue échéance, puisqu’elle aurait à en créer elle-même tous les instruments, au lieu de les trouver tout préparés comme dans l’autre cas ; mais nous ne pensons nullement que ces difficultés, si grandes qu’elles puissent être, soient de nature à empêcher ce qui doit être accompli d’une façon ou d’une autre.

Nous estimons donc opportun de déclarer encore ceci : il y a dès maintenant, dans le monde occidental, des indices certains d’un mouvement qui demeure encore imprécis, mais qui peut et doit même normalement aboutir à la reconstitution d’une élite intellectuelle, à moins qu’un cataclysme ne survienne trop rapidement pour lui permettre de se développer jusqu’au bout. Il est à peine besoin de dire que l’Église aurait tout intérêt, quant à son rôle futur, à devancer en quelque sorte un tel mouvement, plutôt que de le laisser s’accomplir sans elle et d’être