— Beaucoup, mylord, beaucoup.
— Vous souvient-il du jour où des hommes vous ont emmené ?
— Certes, mylord : c’était après goûter ; je jouais seul dans le parc, un homme est venu à moi, il avait l’air bon. Il me demanda si je voulais des joujoux, je répondis : Oui ; il me dit de le suivre, je le suivis.
— Ainsi, mon ami, vous avez suivi l’homme qui vous promettait des joujoux ? Que se passa-t-il ensuite entre vous et lui ? Vous en souvenez-vous ?
— Oui, mylord, mais il s’était moqué de moi. Il n’avait rien à me donner. Je me suis mis à pleurer, je lui demandais de me reconduire au palais ; mais l’homme n’a pas voulu me laisser partir. Il m’a promis que je reverrai mon père. Le même soir, en effet, je l’ai revu, mais pas bien longtemps. Oh ! mylord, comme il était triste ! il me serrait dans ses bras à m’étouffer, il pleurait de grosses larmes et disait : « Laissez-le-moi, laissez-le-moi ! » Puis des hommes sont venus, qui m’ont fait mal en m’arrachant de ses bras et m’ont emporté, malgré mes cris, car je criais de toutes mes forces.
— Savez-vous, mon enfant, où ces hommes vous ont emporté ?
— Hélas ! non, mylord.
— Était-ce loin de Madras ?
— Pour cela, oui, mylord ; c’était dans une campagne, au milieu d’un grand bois où il faisait sombre ; j’avais bien peur ; on me laissa tout seul dans une vilaine cabane, où se trouvait une vieille femme qui me regardait avec des yeux terribles et dont les caresses m’épouvantaient.
— Vous n’êtes pas toujours resté là ?
— Non. Un matin, il arriva des hommes qui me regardèrent attentivement, et qui me dirent : « L’enfant dépérit. » Alors ils accablèrent la vieille femme de coups. Puis l’un d’eux me prit avec lui sur son cheval, et on me conduisit dans un endroit où il faisait très-sombre. Je ne pouvais plus distinguer le jour de la nuit. De temps à autre, cependant, on me faisait promener dans un grand jardin.
— Et que vous disait-on, pour expliquer cette conduite à votre égard ?
— Rien, mylord, sinon que papa viendrait me voir si j’étais bien sage. En effet, il venait me voir assez souvent.
À ce détail naïvement donné par Willy, un long frémissement courut dans l’auditoire, car on se rappelait à quel prix Gilbert revoyait son enfant.
— Qui prenait soin de vous dans votre prison ?
— Un vieillard, qui m’apportait à manger et m’accompagnait quand je me promenais ; puis un autre homme qui avait un visage de bronze. Ce dernier venait rarement ; je voyais bien qu’il était le maître, car il parlait haut et se fâchait, comme j’avais entendu mylord le faire quand il était mécontent de ses domestiques.