Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/245

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Elle s’éloignait parfois lentement, les yeux baissés, dans une attitude de pudeur et de chasteté impossible à rendre, les bras croisés sur sa poitrine, comme pour comprimer les battements de son cœur, sa petite tête courbée, inclinée pour ainsi dire jusqu’à terre, et glissant plutôt que marchant sur les nattes fines qui tapissaient le sol.

Arrivée auprès du prince, elle hésitait un instant, paraissait lutter contre un esprit invisible, faisait quelques pas en tremblant et en lançant à travers son voile des regards suppliants.

Puis, semblant céder à une puissance irrésistible, elle s’élançait brusquement et venait en deux bonds tomber à ses genoux, les lèvres humides de désirs, les yeux brillants de volupté, le sourire plein de ravissantes promesses, sa petite veste de soie entr’ouverte et ne cachant plus les trésors de sa poitrine, ses bras étendus comme pour recevoir sur son sein palpitant l’amant de son choix.

Moura-Sing, et Seler, qui s’était accroupi à peu de distance de lui, étaient sous le charme de cette danse lascive. Ils semblaient subir une influence magnétique irrésistible.

Schubea lui-même, qui se tenait debout derrière son maître, ne quittait pas la danseuse du regard et l’encourageait du geste.

Soudain, à un signe imperceptible que ce dernier fit aux musiciens, ceux-ci précipitèrent la mesure et Laschmi s’élança de nouveau, bondissante, folle, éperdue, semblable à une bacchante.

Son long voile de mousseline à la main, tantôt elle le déployait comme pour s’en faire un abri mystérieux, tantôt elle le roulait autour d’elle en écharpe ou en ceinture.

Ses grands yeux lançaient des éclairs, ses petits pieds battaient le sol avec une rapidité vertigineuse.

Tout à coup, au moment où elle venait de se laisser tomber dans une pose pleine de grâce et d’abandon sur le coussin où Moura-Sing était étendu, et à l’instant où elle le couvrait pudiquement de son voile, il jeta un cri en portant la main à sa gorge et tomba en arrière en battant l’air de ses bras.

Schubea venait de jeter au cou de son maître un foulard rouge, qui, dans sa main nerveuse, ne pardonnait jamais.

Le malheureux prince, toujours maintenu par le meurtrier, gisait sur le sol, l’écume aux lèvres.

La mort avait dû être instantanée.

— Les Thugs ! les Thugs ! avaient gémi quelques voix aussitôt étouffées.

Puis, après une lutte de quelques instants, le silence se fit lugubre, troublé seulement par le râle des mourants et les dernières vibrations dans l’air des accords joyeux de l’orchestre des bayadères.