Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/466

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faire. Ah ! vous dire les tortures que j’ai subies pendant ces cinq années et la haine qui s’est amassée dans mon cœur, cela serait impossible !

— Je vous crois, docteur.

— Eh bien ! cette haine et ces tortures devaient grandir encore à ma sortie de prison, car j’appris que la malheureuse femme pour laquelle mon ivresse et ma passion brutale avaient été sans pitié, avait été condamnée elle-même. Puis, devenue folle alors à la suite de tous ces événements terribles, la digne et pure créature fut enfermée dans une maison d’aliénés, où elle mit au monde un enfant, fruit de mon odieux et lâche attentat.

— Une fille, n’est-ce pas ?

— Oui, une fille ! Comment le savez-vous ?

— Je vous le dirai plus tard.

— Dès que je fus libre, je me mis à la recherche de ma pauvre victime, mais toutes mes démarches furent vaines. J’appris seulement que lady Maury s’était échappée avec son enfant de la maison où elle était séquestrée. Personne ne put me dire ce qu’elle était devenue.

— Et sir Arthur Maury ?

— Le misérable devait échapper à ma vengeance. Poursuivi par le mépris public, car on avait fini par deviner qu’il y avait au fond de ce drame conjugal quelque infamie ignorée, il avait dû fuir. Grâce à la fortune nouvelle que lui avait donnée son crime, il avait acheté un régiment et pris du service aux Indes. Depuis deux ans il était parti. Il avait laissé à Londres les enfants du premier lit qu’il n’avait pu ruiner, protégés qu’ils étaient par leur grand-père, le comte d’Esley, et il n’avait emmené avec lui que la fille aînée de sa seconde femme, cette petite Ada dont les cris s’étaient mêlés aux gémissements de sa mère durant cette nuit horrible dont vous avez lu le récit. Sachant qu’il arriverait un jour où il aurait à rendre compte à cette enfant de la fortune de la pauvre Betsy, sir Arthur, sans pitié pour sa jeunesse, l’avait emmenée pour lui faire partager sa vie aventureuse, et peut-être dans l’espoir secret qu’elle succomberait sous le climat meurtrier de l’Hindoustan et qu’il en hériterait comme il avait hérité de la mère.

— Continuez, docteur, continuez, dit Villaréal dont les yeux brillaient d’une joie qu’il ne cherchait pas à contenir.

— Désespéré, torturé par le remords dès que je connus les conséquences de mon crime, je ne songeai plus qu’à m’exiler. Mon père était mort pendant ma détention, rien ne me retenait en Angleterre. Je partis pour l’Amérique ; mais le malheur avait fait de moi un tout autre homme. Je repris au Canada les études médicales que j’avais abandonnées pour le club et la taverne, et, dix ans plus tard, j’étais presque célèbre sous le nom du docteur Harris. Cependant, le souvenir de lady Maury me poursuivait toujours ;