Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/69

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ment en femme mariée se rappelait ses jeunes amies, enfants et gaies comme elle, ses cavalcades au Bois, ses excursions au bord de la mer, pendant la belle saison, son existence si mouvementée, et toutes ces choses, si peu lointaines encore, lui revinrent bientôt d’autant plus vivaces à la mémoire que son isolement fut, du jour au lendemain, plus complet.

En effet, en Angleterre, l’épouse n’aide pas son mari dans son industrie, à moins qu’il ne soit petit boutiquier ; mais pour peu qu’il se respecte, le plus modeste industriel a, loin de ses affaires, son domicile, où il ne rentre que le soir et où sa femme est seule toute la journée, sauf les dimanches, pendant lesquels les distractions les plus innocentes sont interdites, même à ceux qui n’appartiennent pas à l’Église anglicane.

Henri Noblet avait donc pour son ménage une petite maison dans un quartier excentrique, aux environs de Green Park, et quand Éva se vit condamnée à vivre seule avec une domestique qui ne comprenait pas un seul mot de français, dans ce home glacial, avec ses meubles d’acajou massif, ses couloirs étroits, ses escaliers rapides et nus, ses fenêtres sans persiennes et garnies seulement de rideaux blancs, le passé se représenta aussitôt à son esprit, et ce mari, qu’elle eût peut-être supporté s’il l’avait associée à ses occupations quotidiennes et s’il lui avait fourni l’occasion de s’accoutumer à ses froideurs, à tout ce qui la froissait en lui ; ce mari, qu’elle ne voyait que le soir, lui fut immédiatement