Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/161

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Tout d’abord, après le départ de Mme  de Ferney, il n’avait pu s’empêcher de s’écrier :

— Elle est encore plus belle qu’autrefois !

Puis, en souvenir de la promesse qu’il avait faite à la mémoire de sa mère et en se rappelant la scène dont il avait été témoin aux Champs-Élysées, il se sentit saisi d’épouvante.

Il comprenait que cette entrevue venait de réveiller en lui le premier amour de sa jeunesse, amour qui ne s’était jamais éteint, et il s’en effrayait.

— Non, se dit-il, je ne dois pas la revoir ; ce serait tout à la fois une lâcheté et une mauvaise action : lâcheté envers moi-même, mauvaise action à l’égard de cet honnête homme qui me l’a amenée ici, chez moi, qui m’a serré la main. Et d’ailleurs, ce que j’ai entendu un soir ne me sépare-t-il pas à jamais de cette femme ? Je n’ai été que le successeur de ce malheureux ! Si vraiment j’ai servi à la condamnation d’un innocent, est-ce que je puis lui pardonner le rôle odieux qu’elle m’a fait jouer ! Est-ce que je puis lui pardonner les remords qui, depuis cette soirée, pèsent sur ma conscience ! Mais alors, cet enfant qu’elle portait dans son sein ne serait pas le mien ! Qu’est-il devenu ? Oh ! cela est affreux !

Le jeune homme, en disant ces mots, n’avait plus que de l’horreur et du mépris pour celle qu’il avait adorée. Malheureusement son cœur et ses sens plaidaient pour l’infernale charmeresse et bientôt il murmura :

— Et si elle n’était pas coupable ? Si elle ne l’était que d’être la fille d’un misérable, est-ce que j’avais réellement le droit de l’abandonner ? Est-ce que j’ai aujourd’hui celui de lui reprocher la position sociale qu’elle a conquise par son esprit et sa beauté ? Pourquoi alors ne la reverrais-je pas ? N’est-il pas de mon devoir d’obtenir d’elle une explication. Il faut que je sache si je dois la plaindre, la respecter ou la haïr !

M. de Serville n’osait pas ajouter : « Et si je dois toujours l’aimer ! » bien que ce mot fût sur ses lèvres ainsi qu’au fond de son cœur.

Le résultat de cette lutte fut que le lendemain matin il envoya à l’hôtel de Rifay un chevalet, une toile et une boîte à couleurs, et qu’à cinq heures, il se fit annoncer.

M. de Ferney venait de rentrer du Palais, et comme c’était un homme auquel n’échappait pas la moindre nuance du savoir-vivre, il vit, dans le moment qu’avait choisi l’artiste pour faire sa première visite, une nouvelle preuve de sa parfaite éducation.

Quelques minutes après, Jeanne, avertie, vint rejoindre son mari et le peintre dans le salon où ils causaient comme de vieux amis.

— Bonjour, monsieur de Serville, dit-elle en tendant la main à Armand qui s’était levé pour la saluer. Vous comprenez que je ne vous appellerai maître Petrus que là-haut, devant votre toile.

Puis, se tournant vers Robert, elle lui demanda :