Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/73

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viennent de s’écouler, vous n’avez pas songé un instant que, pour vous épargner la honte, j’avais accepté le déshonneur. Tenez, Jeanne, n’essayez pas de m’échapper. Je vous suivrai jusqu’à la maison que vous habitez, dussé-je vous perdre !

— Ainsi, vous me menacez. Enfin, qu’exigez-vous ?

— Quelques instants d’entretien, pas autre chose.

— Eh bien, soit ! Trouvez-vous demain soir, à huit heures, au bas de l’avenue des Champs-Élysées, à gauche.

— Vous viendrez, au moins ?

— Je vous le jure.

— À demain, alors.

— À demain.

L’institutrice, qui avait prononcé ce dernier mot en se détournant, rejoignit le convoi.

Le jeune homme la suivit un moment d’un regard fiévreux, et murmura :

— Elle est plus belle encore qu’autrefois ; mais je ne suis plus, moi, le niais dont elle s’est moquée !

Et, après avoir regagné la porte du cimetière, celui dont l’apparition subite avait causé une telle impression à notre terrible héroïne descendit lentement la rue de la Roquette.

Arrivé sur cette petite place sinistre qui sépare le dépôt des condamnés de la prison des jeunes détenus, la vue des deux sombres bâtiments parut lui arracher un tressaillement involontaire, et il hâta le pas pour se perdre dans Paris.

Pendant ce temps-là, Jeanne se mêlait aux personnes groupées auprès du caveau où l’on enfermait la morte, et on pouvait croire à sa pâleur que cette cérémonie l’affectait douloureusement ; mais sa pensée était loin, au contraire : elle ne songeait ni au mari désolé, ni aux enfants restés sans mère ; elle était entièrement à ce passé qui venait de se dresser devant elle, comme pour opposer une barrière infranchissable à l’ambitieux avenir qu’elle rêvait.

C’est que le passé de Mlle  Reboul, du moins celui dont elle était responsable devant Dieu et devant les hommes, renfermait un horrible secret qu’il nous faut faire connaître à nos lecteurs avant d’aller plus loin dans ce récit.