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V

Le passé de Jeanne.



La nuit commençait à tomber et, bien que le temps fût glacial, une foule énorme, tumultueuse, impressionnable, restait massée aux abords du Palais de Justice de Reims, un des derniers jours de l’hiver de 1839.

On y jugeait deux affreux gredins dont le crime avait semé la terreur dans la contrée ; les débats duraient depuis trois jours ; on n’attendait plus que le verdict.

Le peuple ne craignait que l’indulgence du jury pour des accusés indignes de toute pitié.

L’attentat dont s’étaient rendus coupables Jacques Méral et son fils Pierre était horrible en effet.

Ils avaient assassiné, pour les voler, deux pauvres vieillards, les époux Duval ; puis, ce meurtre odieux et lâche accompli, ils avaient mis le feu à la maison dans l’espoir de faire disparaître les traces de leur crime.

Mais on avait arraché du milieu de l’incendie les cadavres à demi carbonisés des victimes ; la science avait aisément reconnu les causes réelles de leur mort, une instruction s’était ouverte, et les Méral, immédiatement soupçonnés, avaient été arrêtés.

Tout les accusait, d’ailleurs : leurs antécédents et leur mode d’existence.

Jacques Méral, qui habitait le faubourg à quelques pas de ceux qu’il devait assassiner, avait eu souvent déjà maille à partir avec la justice. Il avait été maintes fois condamné pour vol, et ses voisins, pour lesquels il était un objet d’effroi, affirmaient que sa femme, brave et courageuse créature, avait succombé à ses mauvais traitements.

Le fils ne valait pas mieux que le père ; de plus, c’était au physique un véritable monstre.

Bossu à ce point que sa tête disparaissait à peu près entre ses deux épaules, la bouche lippue et les yeux injectés, Pierre Méral était hideux à voir. Avec cela, robuste et foncièrement vicieux ! C’était bien le complice né de son père. Il avait à cette époque dix-huit ans à peine.

Ce n’était pas là, malheureusement, le seul enfant de Méral. Sa femme lui avait encore donné deux filles.

L’aînée, Françoise, avait moins de dix-sept ans au moment où son père comparaissait avec son fils devant le jury de la Marne, mais elle était déjà perdue.

La plus jeune, Rose, une enfant de huit à neuf ans, était une des plus adorables fillettes qu’il fût possible de voir.

Dans cet épouvantable milieu où elle était née et avait grandi, sa présence était un douloureux contraste, tant elle était jolie, tant sa physionomie était intelligente et douce.