Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/111

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mieux compris la vie que ceux qui la prennent comme un étroit calcul d’intérêt, comme une lutte insignifiante d’ambition ou de vanité ! Il eût mieux valu sans doute ne pas abstraire si fort votre Dieu, ne pas le placer dans ces nuageuses hauteurs où pour le contempler il vous fallut une position si tendue. Dieu n’est pas seulement au ciel, il est près de chacun de nous ; il est dans la fleur que vous foulez sous vos pieds, dans le souffle qui vous embaume, dans cette petite vie qui bourdonne et murmure de toutes parts, dans votre cœur surtout. Mais que je retrouve bien plus dans vos sublimes folies les besoins et les instincts suprasensibles de l’humanité, que dans ces pâles existences que n’a jamais traversées le rayon de l’idéal, qui, depuis leur premier jusqu’à leur dernier moment, se sont déroulées jour par jour exactes et cadrées, comme les feuillets d’un livre de comptoir !

Certes, il ne faut pas regretter de voir les peuples passer de l’aspiration spontanée et aveugle à la vue claire et réfléchie ; mais c’est à la condition qu’on ne donne pas pour objet à cette réflexion ce qui n’est pas digne de l’occuper. Ce penchant qui, aux époques de civilisation, porte certains esprits à s’éprendre d’admiration pour les peuples barbares et originaux, a sa raison et en un sens sa légitimité. Car le barbare, avec ses rêves et ses fables, vaut mieux que l’homme positif qui ne comprend que le fini. La perfection, ce serait l’aspiration à l’idéal, c’est-à-dire la religion, s’exerçant non plus dans le monde des chimères et des créations fantastiques, mais dans celui de la réalité. Jusqu’à ce qu’on soit arrivé à comprendre que l’idéal est près de chacun de nous, on n’empêchera pas certaines âmes (et ce sont les plus belles) de le chercher par delà la vie vulgaire, de faire leurs délices de l’ascétisme. Le