Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/433

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Un tel état de perfection n’exclurait pas la variété intellectuelle ; au contraire, les originalités y seraient bien plus caractérisées, par suite du libre développement des individualités. Que si ultérieurement la variété des esprits devait disparaître devant une culture plus avancée, ce ne serait plus un mal. Mais hâtons-nous de dire que l’uniformité serait maintenant l’extinction de l’humanité. La ruche n’a jamais été une officine de progrès. Nous traversons l’âge d’analyse, c’est-à-dire de vue partielle, âge durant lequel la diversité des esprits est nécessaire. Quand Platon voulait que, dans sa République, tous vissent par les mêmes yeux et entendissent par les mêmes oreilles, il faisait sciemment abstraction de l’un des éléments les plus essentiels de l’humanité. L’humanité, en effet, n’est ce qu’elle est que par la variété. Quand deux oiseaux se répondent, en quoi leurs accents diffèrent-ils d’une élégie ? Par la seule variété. Bien loin de prêcher le communisme dans l’état actuel de l’esprit humain, il faudrait prêcher l’individualisme, l’originalité. Il faudrait que deux hommes ne se ressemblent pas ; car tous ceux qui se ressemblent ne comptent que pour un.

Dans le syncrétisme primitif, tous les hommes d’une même race se ressemblaient comme les poissons d’une même espèce. Il n’y a pas de caractères individuels dans les épopées primitives ; ce que la vieille critique débitait sur les caractères d’Homère est fort exagéré, et encore le monde grec, si vivant, si varié, si multiple a-t-il atteint sur ce point, du premier coup, de très fines nuances. La vieille littérature hébraïque n’offre guère d’autre catégorie d’hommes que le bon et le méchant ; et dans la littérature indienne, c’est à peine si cette catégorie existe. Tous sont présentés comme à peu près également bons