Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/194

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ici, il ne m’a pas été donné une seule fois de voir un visage connu, hors ceux qu’un concours fortuit a amenés ici simultanément avec moi. Triste amitié que celle qui n’est fondée que sur un rapprochement si étranger au cœur !

Je ne me plains pas de la privation de ces visites indifférentes, qui peuvent suffire à ceux qui ne cherchent, dans le commerce du dehors, qu’une occasion de sortir d’eux-mêmes et d’étouffer l’ennui inséparable de la réflexion sur le moi. Celles-là, je me réjouis d’en être privé. Mais celles dont l’absence me fait éprouver un vide cruel, ce sont celles de ces personnes qu’une affection si pure et si légitime m’a attachées ; ce sont ces doux entretiens où l’âme peut parler à une autre comme elle se parle à elle-même, tels, en un mot, que Dieu me les avait accordés, au temps où il voulait m’acclimater à une vie si nouvelle pour moi, et dont pourtant j’ignorais encore alors toutes les épines. Mais j’ai honte, ô ma bonne Henriette, de le parler des souffrances de l’isolement, quand je songe que c’est toi qui les souffres dans toute leur