Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/88

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ties égales et de lui et de l’idéal, ce qui vit avec une pleine réalité, assurément c’est cela. Ce n’est pas la matière qui est, puisqu’elle n’est pas une ; ce n’est pas l’atome qui est, puisqu’il est inconscient. C’est l’âme qui est, quand elle a vraiment marqué sa trace dans l’histoire éternelle du vrai et du bien. Qui, mieux que mon amie, accomplit cette haute destinée ? Enlevée au moment où elle atteignait la pleine maturité de sa nature, elle n’eût jamais été plus parfaite. Elle était parvenue au sommet de la vie vertueuse ; ses vues sur l’univers ne seraient pas allées plus loin ; la mesure du dévouement et de la tendresse pour elle était comble.

Ah ! ce qu’elle eût dû être, sans contredit, c’est plus heureuse. Je rêvais pour elle de petites et douces récompenses ; je concevais mille chimères selon ses goûts. Je la voyais vieille, respectée comme une mère, fière de moi, reposant enfin dans une paix sans mélange. Je voulais que ce bon et noble cœur, qui saigna toujours de tendresse, connût enfin une sorte de retour calme, je suis tenté de dire égoïste. Dieu n’a voulu pour elle que les