Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/89

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grands et âpres sentiers. Elle est morte presque sans récompense. L’heure où l’on recueille ce que l’on a semé, où l’on s’assied pour se souvenir des fatigues et des douleurs passées, ne sonna pas pour elle.

La récompense, à vrai dire, elle n’y pensa jamais. Cette vue intéressée, qui gâte souvent les dévouements inspirés par les religions positives, en faisant croire qu’on ne pratique la vertu que pour l’usure qu’on en tire, n’entra jamais dans sa grande âme. Quand elle perdit sa foi religieuse, sa foi au devoir ne diminua pas, parce que cette foi était l’écho de sa noblesse intérieure. La vertu n’était pas chez elle le fruit d’une théorie, mais le résultat d’un pli absolu de nature. Elle fit le bien, pour le bien et non pour son salut. Elle aima le beau et le vrai sans rien de ce calcul qui semble dire à Dieu : « N’étaient ton enfer ou ton paradis, je ne t’aimerais pas. »

Mais Dieu ne laisse pas ses saints voir la corruption. O cœur où veilla sans cesse une si douce flamme d’amour ; cerveau, siège d’une pensée si pure ; yeux charmants où la bonté rayonnait ; longue et délicate main que j’ai