Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à leur place les plus insignes platitudes. Je souffrais d’autant plus que j’étais certain que ce passage serait parfaitement vu des autres membres de la commission, et spécialement de M. Burnouf, qui dans la lettre qu’il m’avait adressée, m’avait conseillé tout à fait dans ce sens, Néanmoins, chère amie, comme il ne s’agissait que d’un point purement scientifique et ne tenant nullement à des convictions trop intimes pour souffrir la moindre dissimulation, j’ai cru devoir céder, et M. Reinaud en a paru enchanté. — Tout ceci n’est qu’enfantillage, chère amie ; mais m’effraie, en me révélant l’immenso difficulté qui entourera pour l’avenir tous mes travaux dans cette partie. Mentir à ma pensée, et taire des résultats fins, nouveaux, intéressants, pour répéter d’insupportables vieilleries, me sera toujours impossible ; et d’ailleurs ce serait mal calculer, puisque je me priverais par la des suffrages auxquels je tiens avant tout, ceux des hommes vraiment philosophes et critiques, qui après tout sont les plus influents dans le présent, et le seront surtout dans l’avenir. D’un autre côté quelque modération que j’emploie, je m’expose, si je dis toute ma pensée, à de furieuses attaques, et ils s’imagineraient faire une bonne œuvre en entravant toute ma carrière. Leurs injures m’effraient peu ; mais hélas ! je dois redouter des effets plus réels. — Le mieux, n’est-ce pas, serait de me taire ? Mais, pauvre amie, c’est au contraire le pire de tout, puisque c’est le moyen de