Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

latin. Nous décidions que César n’était pas un grand homme, parce qu’il n’avait pas été vertueux ; notre philosophie de l’histoire était celle d’un Gépide ou d’un Hérule par sa naïveté et sa simplicité.

Les mœurs de cette jeunesse, livrée à elle-même, sans surveillance, étaient à l’abri de tout reproche. Il y avait alors au collège de Tréguier très peu d’internes. La plupart des élèves étrangers à la ville vivaient dans les maisons des particuliers ; leurs parents de la campagne leur apportaient, le jour du marché, leurs petites provisions. Je me rappelle une de ces maisons, voisine de celle de ma famille, et où j’avais plusieurs condisciples. La maîtresse, courageuse femme s’il en fût, vint à mourir. Son mari avait aussi peu de tête que possible, et le peu qu’il en avait il le perdait tous les soirs dans les pots de cidre. Une petite servante, une enfant extrêmement sage, sauva la situation. Les jeunes étudiants résolurent de la seconder ; la maison continua de marcher, nonobstant le vieil ivrogne. J’entendais toujours mes camarades parler avec une rare