Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/344

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plus agréable. Comme cela nous engage à regarder ce qui passe comme n’étant pas et à supporter patiemment des peines de quelques jours, dont nous rirons dans quelques années et auxquelles nous ne penserons pas dans l’éternité ! Vanité des vanités !

Un an après, le mal que je croyais passager avait envahi ma conscience tout entière. Le 22 mars 1845, j’écrivis à mon ami, une lettre qu’il ne put lire. Il était mourant quand elle lui parvint.

Ma position au séminaire n’a reçu, depuis nos derniers entretiens, aucun changement bien sensible. J’ai la faculté d’assister régulièrement au cours de syriaque de M. Quatremère, au collège de France, et j’y trouve un intérêt extrême. Cela me sert à bien des fins : d’abord à acquérir des connaissances belles et utiles, puis à me distraire de certaines choses en m’occupant à d’autres… il ne manquerait rien à mon bonheur, si les désolantes pensées que tu sais ne m’affligeaient continuellement l’âme, et cela selon une effroyable progression d’accroissement. Je suis bien décidé à ne pas accepter le sous-diaconat à la prochaine ordination. Cela ne devra paraître singulier à personne, puisque l’âge m’obligerait à mettre un intervalle entre mes ordres. Du reste, que m’importe l’opinion ? Il faut que je m’habitue à la braver pour être prêt à tout sacrifice. Je passe bien des moments cruels ; cette semaine sainte, surtout,