Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/405

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personnalité en dehors des routines établies était d’être toléré. Mon siècle et mon pays ont eu pour moi bien plus d’indulgence. Malgré de sensibles défauts, malgré l’humilité de son origine, ce fils de paysans et de pauvres marins, couvert du triple ridicule d’échappé de séminaire, de clerc défroqué, de cuistre endurci, on l’a tout d’abord accueilli, écouté, choyé même, uniquement parce qu’on trouvait dans sa voix des accents sincères. J’ai eu d’ardents adversaires, je n’ai pas eu un ennemi personnel. Les deux seules ambitions que j’aie avouées, l’Institut et le Collège de France, ont été satisfaites. La France m’a fait bénéficier des faveurs qu’elle réserve à tout ce qui est libéral, de sa langue admirable, de sa belle tradition littéraire, de ses règles de tact, de l’audience dont elle jouit dans le monde. L’étranger même m’a aidé dans mon œuvre autant que mon pays ; je mourrai ayant au cœur l’amour de l’Europe autant que l’amour de la France ; je voudrais parfois me mettre à genoux pour la supplier de ne pas se diviser par des jalousies fratricides, de ne pas oublier