Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/408

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n’admet pas les volontés particulières dans le gouvernement de l’univers. La providence individuelle, comme on l’entendait autrefois, n’a jamais été prouvée par un fait caractérisé. Sans cela, certainement, je m’inclinerais reconnaissant devant des concours de circonstances où un esprit moins dominé que le mien par les raisonnements généraux verrait les traces d’une protection particulière de dieux bienveillants. Les hasards qu’il faut pour amener un terne ou un quaterne ne sont rien auprès de ce qu’il a fallu pour que la combinaison dont je touche les fruits ne fût pas dérangée. Si mes origines eussent été moins disgraciées selon le monde, je ne fusse point entré, je n’eusse point persévéré dans cette royale voie de la vie selon l’esprit, à laquelle un vœu nazaréen m’attacha dès mon enfance. Le déplacement d’un atome rompait la chaîne de faits fortuits qui, au fond de la Bretagne, me prépara pour une vie d’élite ; qui me fit venir de Bretagne à Paris ; qui, à Paris, me conduisit dans la maison de France où l’on pouvait recevoir l’éducation la plus sérieuse ; qui, au sortir du séminaire, me fit