Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/409

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éviter deux ou trois fautes mortelles, lesquelles m’auraient perdu ; qui, en voyage, me tira de certains dangers où, selon les chances ordinaires, je devais succomber ; qui fit, en particulier, que le docteur Suquet put venir à Amschit me tirer des bras de la mort, où j’étais déjà enserré. Je ne conclus rien de là, sinon que l’effort inconscient vers le bien et le vrai qui est dans l’univers joue son coup de dé par chacun de nous. Tout arrive, les quaternes comme le reste. Nous pouvons déranger le dessein providentiel dont nous sommes l’objet ; nous ne sommes pour presque rien dans sa réussite. Quid habes quod non accepisti ? le dogme de la grâce est le plus vrai des dogmes chrétiens.

Mon expérience de la vie a donc été fort douce, et je ne crois pas qu’il y ait eu, dans la mesure de conscience que comporte maintenant notre planète, beaucoup d’êtres plus heureux que moi. J’ai eu un goût vif de l’univers. Le scepticisme subjectif a pu m’obséder par moments ; il ne m’a jamais fait sérieusement douter de la réalité ; ses objections sont par