Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/410

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moi tenues en séquestre dans une sorte de parc d’oubli ; je n’y pense jamais. Ma paix d’esprit est parfaite. D’un autre côté, j’ai trouvé une bonté extrême dans la nature et dans la société. Par suite de la chance particulière qui s’est étendue à toute ma vie et qui a fait que je n’ai rencontré sur mon chemin que des hommes excellents, je n’ai jamais eu à changer violemment les partis pris généraux que j’avais adoptés. Une bonne humeur, difficilement altérable, résultat d’une bonne santé morale, résultat elle-même d’une âme bien équilibrée et d’un corps supportable, malgré ses défauts, m’a jusqu’ici maintenu dans une philosophie tranquille, soit qu’elle se traduise en optimisme reconnaissant, soit qu’elle aboutisse à une ironie gaie. Je n’ai jamais beaucoup souffert. Il ne dépendrait que de moi de croire que la nature a plus d’une fois mis des coussins pour m’épargner les chocs trop rudes. Une fois, lors de la mort de ma sœur, elle m’a, à la lettre, chloroformé pour que je ne fusse pas témoin d’un spectacle qui eût peut-être fait une lésion profonde dans