Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/411

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mes sens et nui à la sérénité ultérieure de ma pensée.

Ainsi, sans savoir au juste qui je dois remercier, pourtant je remercie. J’ai tant joui dans cette vie, que je n’ai vraiment pas le droit de réclamer une compensation d’outre-tombe ; c’est pour d’autres raisons que je me fâche parfois contre la mort ; elle est égalitaire à un degré qui m’irrite ; c’est une démocrate qui nous traite à coups de dynamite ; elle devrait au moins attendre, prendre notre heure, se mettre à notre disposition. Je reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant ces mots, toujours de la même écriture : « Si pourtant il y avait un enfer ! » Sûrement la personne pieuse qui m’écrit cela veut le salut de mon âme, et je la remercie. Mais l’enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par ailleurs de la bonté divine. D’ailleurs, la main sur la conscience, s’il y en a un, je ne crois pas l’avoir mérité. Un peu de purgatoire serait peut-être juste ; j’en accepterais la chance, puisqu’il y aurait le paradis ensuite, et que de bonnes âmes me gagne-