Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/431

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seraient aussi ennuyeuses qu’elles me furent pénibles. Figurez-vous votre pauvre ami courant des journées entières de visite en visite. J’en avais honte ; mais que faire contre la nécessité ? L’homme ne vit pas seulement de pain, mais il vit aussi de pain. Je n’ai pourtant pas cessé un instant de regarder le ciel.

Il suffit de vous dire que, pour obéir aux conseils de M. Carbon et pour une autre raison péremptoire dont je vous parlerai tout à l’heure, je crus devoir refuser quelques propositions assez avantageuses, pour accepter, à l’école préparatoire annexée au collège Stanislas, une petite place qui, sous plusieurs rapports, était assez bien en harmonie avec ma situation actuelle. Cette place ne m’occupait pas plus d’une heure et demie par jour, et je trouvais là des cours spéciaux de mathématiques, de physique, etc., sans parler des cours préparatoires à la licence dont l’un, entre autres, fait deux fois par semaine par M. Lenormant. J’ai été d’ailleurs surpris de la bonté cordiale et franche que j’ai trouvée en ces jeunes gens : je puis dire que je n’ai pas eu en cette maison une ombre de désagrément et que j’ai éprouvé de sincères regrets en la quittant. Mais ce que cette courte période de ma vie a eu de remarquable, ce sont certainement mes rapports avec M. Gratry, directeur du collège. Je vous en parlerai beaucoup, et je suis enchanté d’avoir fait sa connaissance. C’est une miniature exacte de M. Bautain, dont il est l’élève et l’ami. Nous entrâmes, dès la première minute, en contact immédiat, et dès lors nos rapports se continuèrent sur un pied tout à fait singulier et dont