Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/445

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sympathiserons ; sinon je serai seul. Je suis fort égoïste : retranché en moi-même, je me moque de tout. J’espère me faire de quoi vivre. Les gens qui ne me connaîtront pas me classeront parmi ceux avec qui je sympathise le moins : tant pis, ils se tromperont.

Pour avoir de l’influence, il faut arborer un drapeau et être dogmatique. Allons, tant mieux pour ceux qui en ont le cœur. Moi, j’aime mieux caresser ma petite pensée et ne pas mentir.

Que si, par un retour qui n’est pas sans exemple, une telle manière devient influente, c’est bon ; on viendra à moi, mais je ne me mêlerai pas à ces tourbes. J’aurais pu mettre dans la classification que je faisais tout à l’heure une catégorie de plus : ceux qui ne voient rien au-dessus de l’action et prennent le christianisme comme un moyen d’action : esprits communs, si on les compare au penseur. Celui-là est le Jupiter olympien, l’homme spirituel qui juge tout et n’est jugé par personne. Que les âmes simples possèdent beaucoup de vrai, oh ! mon Dieu ! je le crois ; mais la forme sous laquelle elles le possèdent ne peut suffire à celui dont la raison est en juste proportion avec les autres facultés. Cette faculté élimine, discute, épure, et impossible de l’étouffer. Ah ! si j’avais pu, je l’eusse fait. Quant au cupio omnes fieri, voici mon idée. Je ne l’applique qu’à ma liberté. Il faut, autant que possible, se maintenir dans une position où l’on soit prêt à virer de bord, alors que change le vent de la croyance. Et combien de fois doit-il changer dans la vie ? Cela dépend de sa longueur. Or, un lien n’est pas ce qu’il y