Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/511

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avait acceptée pesa cruellement sur Jésus. La nature humaine se réveilla un instant. Il se prit peut-être à douter de son œuvre. La terreur, l’hésitation s’emparèrent de lui et le jetèrent dans une défaillance pire que la mort. L’homme qui a sacrifié à une grande idée son repos et les récompenses légitimes de la vie fait toujours un retour triste sur lui-même, quand l’image de la mort se présente à lui pour la première fois et cherche à lui persuader que tout est vain. Peut-être quelques-uns de ces touchants souvenirs que conservent les âmes les plus fortes, et qui à certaines heures les percent comme un glaive, lui vinrent-ils à ce moment. Se rappela-t-il les claires fontaines de la Galilée, où il aurait pu se rafraîchir ; la vigne et le figuier sous lesquels il aurait pu s’asseoir ; les jeunes filles qui auraient peut-être consenti à l’aimer ? Maudit-il son âpre destinée, qui lui avait interdit les joies concédées à tous les autres ? Regretta-t-il sa trop haute nature, et, victime de sa grandeur, pleura-t-il de n’être pas resté un simple artisan de Nazareth ? On l’ignore. Car tous ces troubles intérieurs restèrent évidemment lettre close pour ses disciples. Ils n’y comprirent rien, et suppléèrent par de naïves conjectures à ce qu’il y avait d’obscur pour eux dans la grande âme de leur maître. Il est sûr, au moins, que son essence divine reprit bientôt le dessus. Il pouvait