Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/558

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Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais son instinct divin l’emporta encore. À mesure que la vie du corps s’éteignait, son âme se rassérénait et revenait peu à peu à sa céleste origine. Il retrouva le sentiment de sa mission ; il vit dans sa mort le salut du monde ; il perdit de vue le spectacle hideux qui se déroulait à ses pieds, et, profondément uni à son Père, il commença sur le gibet la vie divine qu’il allait mener dans le cœur de l’humanité pour des siècles infinis.

L’atrocité particulière du supplice de la croix était qu’on pouvait vivre trois et quatre jours dans cet horrible état sur l’escabeau de douleur[1]. L’hémorragie des mains s’arrêtait vite et n’était pas mortelle. La vraie cause de la mort était la position contre nature du corps, laquelle entraînait un trouble affreux dans la circulation, de terribles maux de tête et de cœur, et enfin la rigidité des membres. Les crucifiés de forte complexion pouvaient dormir et ne mouraient que de faim[2]. L’idée mère de ce cruel supplice était, non de tuer directement le condamné par des lésions déterminées, mais d’exposer l’esclave, cloué

  1. Pétrone, Sat., cxi et suiv. ; Origène, In Matth. Comment, series, 140 ; texte arabe publié dans Kosegarten, Chrest. arab., p. 63 et suiv. ; Revue germ., endroit cité.
  2. Eusèbe, Hist. eccl., VIII, 8 ; Revue germ., ibid.