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le maître de la lumière

vu, cette table ronde, César Christiani tomber sur le tapis de la Savonnerie !

La pluie continuait, dans la nuit montagnarde, à chuchoter son murmure innombrable. Le jeune homme marchait lentement autour des sièges, pensif. Par un effet logique des circonstances, sa pensée s’attachait obstinément à la mort de César, et son imagination grossissait tout ce que cette mort comportait de mystérieux. Il n’en voyait plus que l’énigme. Quinze jours auparavant, aucun doute ne l’assaillait à ce propos ; il était fermement convaincu que César avait été assassiné par Fabius Ortofieri, comme tout le monde l’avait toujours admis. Maintenant, il en doutait. Sachant que le contraire lui eût été favorable, il avait commencé à souhaiter ce contraire ; puis, très vite, il avait acquis la conviction artificielle, que l’opinion publique s’était trompée. Une voix intérieure plaidait la cause de l’accusé, du meurtrier présumé. Dans son esprit, les faits articulés à la décharge de Fabius Ortofieri prenaient une ampleur démesurée. Il eût été si follement heureux de prouver cette innocence que, progressivement, selon les lois d’un phénomène bien connu des avocats, il en était arrivé à croire que cette mauvaise cause était excellente et que le grand-père de Rita n’avait pas trempé dans le meurtre du sien. Les magistrats commis pour instruire ce procès avaient trop largement tenu compte des inquiétudes que César, dans sa correspondance, avait laissé voir touchant ses interminables discussions avec les Ortofieri et la présence à Paris de Fabius, son ennemi héréditaire. Il y avait eu, sans doute, contre ce dernier, des hasards terribles, des coïncidences fatales… Car il avait nié, jusqu’à son dernier soupir !

Toutes ces rêveries n’étaient bonnes à rien, Les événements avaient sur eux trop de poussière. Trop de poussière qu’on ne pouvait plus balayer. Trop de poussière hors de portée.

Charles fit halte devant un autre tableau : copie à la plume d’une gravure célèbre de Mathieu, d’après Fragonard : Le Serment d’Amour. Copie naïve mais non sans charme. Patiente besogne de la grand-mère Es-