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le maître de la lumière

craintes ? La première idée qui m’est venue à ce propos c’est qu’il redoutait des visites subreptices…

— Les sociétés secrètes abondaient dans ce temps-là. Crois-tu qu’il fit partie de l’une d’elles ?

— Je ne le crois pas. Certes, il n’était partisan d’aucune monarchie, constitutionnelle ou autre. Mais ses Souvenirs nous le montrent, dans une certaine mesure, indulgent à Louis-Philippe qui, lui-même, ne haïssait pas le souvenir de Napoléon dont il devait faire revenir les cendres à Paris. L’année 1835 est d’un temps où les bonapartistes se tenaient fort tranquilles. Après l’empereur, ils avaient perdu le duc de Reichstadt ; il était à peine question du prince Louis-Napoléon, le futur Napoléon III, qui ne devait commencer à faire vraiment parler de lui qu’en 1836, à Strasbourg. J’ai donc la conviction que César n’était pas suspect au gouvernement du roi-citoyen et même que sa disgrâce n’était plus que de l’indifférence. Selon moi, il n’eût tenu qu’à lui d’être bien en cour. Un homme qui avait déplu aux Bourbons pouvait plaire aisément à celui qui venait de les chasser. Au fond, c’est César qui ne voulait rien demander et non pas Louis-Philippe qui dédaignait ses services.

— Ce qui me trouble, moi, dit Colomba, c’est la simultanéité de l’attentat de Fieschi et du meurtre de César. On admet difficilement que le hasard seul soit en cause, Fieschi, Ortofieri, Christiani, ce sont trois Corses, il n’y a pas à sortir de là !…

— Je te ferai remarquer, dit Charles, que l’origine corse de Fieschi ne fut pour rien, absolument pour rien, dans son crime. Lui aussi, parbleu ! avait aimé Napoléon qu’il avait servi en Russie, sous l’uniforme ; mais, je le répète, le bonapartisme, en 1835, n’avait plus d’objet, temporairement, Fieschi fut l’instrument des sociétés secrètes, acharnées contre Louis-Philippe, parce que celui-ci avait fait tourner à son profit la révolution de juillet 1830, destinée à établir la république. Mais c’est à peine si Fieschi savait pour quelle cause il allait commettre son forfait. Assassin dans l’âme, il s’est soumis à des maîtres ténébreux, sans même les connaître bien, ni les connaître tous, et il a mis à mort, d’un seul coup, une foule d’innocents, moins par ambition que par vanité,