Aller au contenu

Page:Renard - Le Maitre de la Lumiere, 1948.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
le maître de la lumière

sance. Elle représentait un homme robuste, d’âge mûr, ayant l’œil bleu et le teint chaud, le nez quelconque, la bouche relevée dans un sourire un peu pincé. Ses cheveux formaient un toupet et, sur les tempes, revenaient en avant. De courts favoris, dit « pattes-de-lapin », barraient les joues. Le bourgeois portait une haute cravate blanche à plusieurs tours, un gilet blanc très ouvert et une redingote noire dont la boutonnière s’ornait d’un ruban bleu-ciel à liséré rouge.

— La décoration de Juillet, n’est-ce pas ? dit Rita.

— Exactement. Et cela nous indique que la miniature a été faite après 1830. Il résulte que Fabius Ortofieri devait être à peu près comme cela en 1835.

— Le grand portrait est de 1834, dit Rita. Et le pastel a été exécuté pendant le procès dans la prison.

— Même coupe de barbe ?

— Toujours. Le visage entièrement rasé, à l’exception des favoris.

— Puis-je me permettre une question ? exhala Mme Le Tourneur d’une voix précieuse et défaillante. La décoration de Juillet, qu’était-ce ?

— Une croix, répondit Charles, accordée par Louis-Philippe, en récompense nationale, à tous les citoyens qui s’étaient distingués pendant les trois journées de Juillet et qui, en conséquence, l’avaient élevé au trône.

— On en avait distribué beaucoup, je crois ? dit Rita.

— Oui. Un peu trop, il faut bien le dire. On trouve toutes sortes d’individus parmi des émeutiers, et la croix de Juillet ne fut pas toujours portée dignement. Il continuait de regarder avec attention la miniature, pour se la mettre bien en mémoire et pouvoir reconnaître Fabius, si la luminite lui en donnait l’occasion à l’improviste.

Cela fait, il rendit l’objet à la jeune fille. Et l’heure était venue pour eux de se séparer. Mme Le Tourneur les sentit si désolés de cette nécessité qu’elle s’empressa d’aller quérir elle-même dans la salle à manger, un plateau tout préparé, lourd de flacons et de gâteaux. Mais Charles et Rita eurent en même temps le même mouvement de frayeur. L’aspect de ce plateau, la perspective de ce goûter transformaient dangereusement la