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le maître de la lumière

Luc de Certeuil s’avança vers Charles, la main tendue. Il foulait d’un pas assuré le tapis du salon, et il accentuait avec une fausse désinvolture son maintien habituel, qui consistait à grandir encore sa haute taille, à plastronner et à lever la tête. Il y avait toujours de l’exagération dans cette manière de poitriner perpétuellement ; on la soupçonnait d’être par trop voulue, imposée par une âme de comédien à un corps dont ce n’était point là la pose naturelle. Luc avait l’air de se méfier de son corps, de craindre à chaque minute qu’il ne s’affaissât, qu’il ne perdît un pouce de sa stature et de son tour de thorax. Aujourd’hui plus que jamais, il semblait moins être droit que se redresser, moins être grand que se grandir. Ce bras tendu se tendait à l’excès ; cette main ouverte s’ouvrait avec une franchise vraiment trop étudiée, et il n’était pas sans intérêt de voir un visage aussi ingrat revêtir une expression aussi flatteuse. Ce visage et cette expression ne s’accordaient pas. La face était carrée, pourvue de puissants maxillaires, mal éclairée par des yeux étrangement incolores ; le nez court, large, faisait penser au sinistre mufle d’une hyène ; tout cela était pâle et déjà fatigué, mais tout cela, soigneusement apprêté, poudré, parfumé, n’avait jamais déplu à aucune femme. La chevelure ondée, rejetée en arrière, découvrant un front large et solide, était une crinière luxueusement entretenue. Une sorte de supériorité travaillée émanait de ce personnage, dont la laideur, parce qu’elle était virile, arrogante et athlétique, faisait dire aux femmes : « Il est beau », tandis que certains hommes en disaient autant, à cause de cette prestance de robuste gaillard, cette allure décidée et cette rondeur de franc compagnon.

Charles, sur ses gardes, perplexe et mécontent, regarda venir à lui, dans le salon de sa mère, ce grand gentleman si affable qui, sur une figure en somme démoniaque, portait une expression archangélique et s’efforçait de répandre sur tout son être la lumière même