— Je me le suis déjà dit. Tant qu’un supplément de preuves ne viendra pas confirmer mes appréhensions, un faible espoir me restera. Je me suis dit aussi que ta mère pourrait ne pas s’apercevoir de cette maudite ressemblance…
— C’est douteux, fit Charles d’un ton ambigu.
— Cependant, objecta Bertrand, supposons que César ait été tué par l’homme à la canne, Mme Christiani assistant fatalement à la rétrovision du meurtre, si l’assassin, ce jour-là, n’a pas sa canne.
— Eh bien ?
— Eh bien ! ta mère ignorera l’une des principales raisons pour lesquelles nous estimons que cet homme est mon aïeul ! Car — soyons sincères tous les deux, ne nous berçons pas de vaines espérances — c’est cela que nous croyons, et rien d’autre : il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que je sois le petit-fils et non le petit-neveu de l’homme à la canne !
Charles se rembrunit :
— Bon, dit-il. Supposons donc que ma mère reste incertaine. Supposons même qu’elle ne se doute de rien du tout, ce qui serait invraisemblable. Et après ?
— Après, parbleu, nous sommes sauvés ! Non seulement tu épouseras Mlle Rita Ortofieri, puisque son grand-père sera innocent, mais rien ne s’opposera à ce que Colomba soit ma femme, puisque ta mère ignorera, dans notre hypothèse, que mon grand-père est coupable !
Le mutisme de Charles et son regard déconcertant causèrent quelque déroute dans l’esprit de Bertrand et lui rappelèrent sur-le-champ que Mlle Christiani n’était pas le seul membre de la famille qui plaçât au-dessus de toute autre considération le respect fanatique des traditions et le souvenir farouche des offenses.
— C’est vrai, dit-il. Toi aussi !
Il y eut, après cela, un silence extrêmement lourd.
Puis Bertrand tendit la main :
— Je te demande pardon.
Il n’essayait pas d’argumenter ou de supplier pour agir sur l’esprit de Charles et modifier ses sentiments traditionnels. Il savait bien que de tels sentiments sont inébranlables et que, s’ils paraissent extrêmes à ceux