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le maître de la lumière

— Tu exagères, repartit Charles. Mais je reconnais pourtant qu’à nos yeux tous ces gens vêtus d’une manière surannée, portant presque tous les mêmes favoris, accusant une expression correspondant aux goûts, aux sentiments de leur siècle, à la mode psychologique de leur temps, me semblent beaucoup moins dissemblables que mes contemporains. C’est fort bizarre et, dans le cas qui nous occupe, c’est bien regrettable. Ah ! pourquoi la photographie n’a-t-elle pas été inventée quelques années plus tôt ! Si nous possédions des photographies — une seule ! — de Fabius Ortofieri, je suis bien certain qu’en la comparant aux images du film qu’on va développer, nous saurions tout de suite à quoi nous en tenir sur l’identité de l’assassin ! Nous saurions s’il est Fabius, ou non. Mais, avec ces portraits à la main, arriverons-nous à un résultat décisif ?…

Les portraits étaient alignés devant lui : la peinture à l’huile, le pastel, les deux miniatures.

La nuit était venue dans l’atelier de la rue de Tournon.

Puis le soir s’assombrit dans le cabinet du boulevard du Temple, désormais privé de l’homme sympathique et si original qui avait vécu là ses dernières années. Henriette y reçut, avec tout l’effacement et la déférence que lui imposait sa condition, les parents de César ; Mme Leboulard pleura beaucoup. Le jeune Napoléon Christiani regarda longuement, d’un air sombre, la grande tache de sang qui noircissait maintenant le tapis de la Savonnerie.

Aux suprêmes clartés de ce jour sinistrement fameux, l’animation persistait au pied de la maison Fieschi. Des soldats en gardaient les abords. Le café des Mille Colonnes était transformé en corps de garde. Et là-haut, derrière la célèbre jalousie relevée de travers, une vive lumière, qui ne devait s’éteindre qu’à l’aurore, éclairait la scène des interrogatoires. On avait procédé à beaucoup d’arrestations et il était facile de distinguer, à la lorgnette, la face blême des pauvres diables terrorisés qui défendaient leur innocence.

Le lendemain matin, une nouvelle descente de justice eut lieu sur le théâtre de l’assassinat de César Chris-