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le maître de la lumière

Charles, qui promenait partout le rayon éblouissant de sa pile de poche, poussa une exclamation.

— Regardez ça ! dit-il en désignant la bibliothèque.

— Eh bien ! c’est une toile d’araignée…

— Ça ne vous dit rien ? Réfléchissez. Cette toile d’araignée est placée de telle sorte qu’on l’arracherait en ouvrant la bibliothèque. Or, cette bibliothèque a été ouverte tout à l’heure. Nous avons vu l’homme ouvrir et refermer ce vantail ! Ça, par exemple, c’est prodigieux ! Il faut que Claude se rende compte ; je vais l’appeler.

Pour ce faire, il se tourna vers la fenêtre, par laquelle il comptait héler le vieux régisseur.

La stupéfaction le pétrifia.

— La… La lune ! Regardez la lune ! prononça-t-il d’une voix rauque.

— Bon Dieu, monsieur Charles, mais c’est la pleine lune, ça !

— Oui, une lune toute ronde et qui se trouve à l’orient, — une lune qui s’est levée il y a trois quarts d’heure à peine, alors que, nous le savons, la lune, cette nuit, est en croissant et elle va se coucher par là, à l’occident ! C’est un rêve ! On nous a fait boire quelque chose…

Sans plus palabrer, Julien courut à la fenêtre du fond (celle du sud), en poussa vivement les persiennes, qui claquèrent…

Le croissant de nacre apparut au sud-ouest.

— Deux lunes ! s’exclama Charles, qui était resté en face du rond d’argent montant dans le ciel pur.

Il s’approcha davantage de la fenêtre qui donnait sur cette pleine lune.

— Julien, je deviens fou 1 cria-t-il.

— Quoi donc encore ?

— Venez, approchez, éteignez votre lampe, et voyez. Puis dites-moi… La marquise… vous… l’apercevez ?

— Non, monsieur. Elle n’y est plus. Elle a disparu.

— Ce n’est pas tout !… Le parc…

Il y avait de quoi devenir dément, en effet. Les grands marronniers étaient maintenant de petits arbres. Les pelouses, escamotées, faisaient place à une vigne percée d’une allée droite, au bout de laquelle s’élevait un léger