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le péril bleu

puisque c’est Robert Collin. — Il s’avance vêtu de son éternelle petite redingote ; la mousse pâle de sa barbe floconne à ses joues ; sa myopie lui fait des yeux très doux, cerclés d’or. Il apporte le courrier.

— « Bonjour, Robert, ça va ? »

L’interpelé s’étrangle, ôte ses lunettes, et dit :

— « Non, maître, ça ne va pas… J’ai à vous entretenir… de sujets… graves, et j’en… j’en suis, émotionné… ridiculement. »

— « Dites, mon ami. Comment ! vous avez peur de me parler ? Vous savez pourtant combien je vous estime. »

— « Je sais tout ce que je vous dois, mon cher maître : la vie d’abord, et l’éducation, et l’instruction. Vous m’avez donné une famille et beaucoup d’amitié… et cette estime à laquelle vous faites allusion. Aussi, je ne devrais pas… Mais, voyez-vous, on a des devoirs envers soi-même également… Et je n’ai pas le droit de me taire, encore que je sache avec certitude que mon audace est inutile… Seulement, jurez-moi, mon maître, de ne pas m’en vouloir si ma demande vous paraît trop déplacée… »

M. Le Tellier pressent de quoi il retourne. Il est d’ailleurs plus touché que surpris et plus ennuyé que touché.

— « C’est juré », dit-il.

— « Eh bien ! maître, j’aime Mlle Marie-Thérèse, et j’ai l’honneur de vous demander sa main. »

— « Patatras ! nous y sommes », s’écrie mentalement M. Le Tellier.

L’autre continue. Il récite un morceau préparé, c’est visible.

— « Je suis pauvre, orphelin, gauche et laid. Je n’ignore pas combien ma personne est grotesque. Mais quand on a l’audace d’aimer, que voulez-vous ? il faut avoir l’audace de le déclarer. Et celui qui aperçoit le bonheur, fût-ce à des hauteurs folles, a le devoir de s’élancer vers lui. Maintenant, mon cher maître, j’ai accompli cette obligation vis-à-vis de mon propre individu. Je connais d’avance votre réponse. J’ai fait ce que je devais. N’en parlons plus. »

— « Mon ami, moi aussi j’ai des devoirs. Le mien, dans cette affaire, est de consulter ma fille… quand elle