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APPENDICE


J'aime l'histoire de ce Poil-de-Carotte, devenu sous la plume de Jules Renard un inoubliable type analogue à certains personnages de Dickens que, par l'amour des verves de romans rustres, notre génération semble trop oublier. Poil-de-Carotte est le souffre-douleurs de toute sa famille, non pas après des futilités visibles, des méchancetés tangibles, mais grâce à des fureurs sournoises, lentes et réitérées qui arrachent un peu chaque jour de sa personnalité ahurie. J’estime que l’auteur ferait bien de nous entretenir encore de Poil-de-Carotte, d’en faire une victime, mais agrandie de tout ce que la nature humaine comporte de vieille hypocrisie, de persistants instincts, d’ancestrales anthropophagies. La littérature française serait ainsi enrichie d’un type à devenir légendaire avant peu.

Je ne puis guère passer en revue toutes les pages qui font partie de ce curieux volume : plusieurs articles y passeraient. Tels quels, Sourires Pincés est un livre qui se garde pour être relu, un livre dont on parcourt avec plaisir les chapitres, car ils donnent à la fois la bienheureuse sensation d’une écriture artiste et d’un caractérisme d’époque, qui sait ce qu’il veut.

Jules Renard est jeune encore, blond, avec une pointe de barbe sévère et une voix narquoisement lente, qui détonne dans le milieu un peu criard des littérateurs d’ordinaire. C’est donc l’homme de ses livres.

On annonce de lui deux volumes : les Cloportes (scènes et types de campagne) l’Ecornifieur (scènes de parasitisme). Il n’y a pas de doute qu’ils ne soient aussi remarqués que Sourires Pincés.

En réalité, si une influence existe, quoique de très loin, sur l’œuvre de Jules Renard, c’est celle de Rachilde. Du moins, il me le semble après la lecture que j'ai faite du roman de celle-ci : l’Ironie sanglante. C’est la pareille acuité, la semblable pénétration des âmes Seulement Rachilde me paraîtrait plus extraordinairement vivante, surtout dans l’Ironie sanglante, un des meilleurs livres parus en ces dix dernières années. La Vierge d'Alfred Vallette, s’en rapprocherait. Les Sourires Pincés écrits à la pointe sèche y sont poussés aussi profondément et finement, mais évoluent dans un champ plus restreint. Ce sont des eaux-fortes ; l’Ironie sanglante serait un bel et bon tableau, où flambe une criminelle coloration. La Vierge, dont je me promets de parler, éveille l’idée d’un album renfermant de modèles vues de souffrances, des perspectives d’humaines et ignorées douleurs. Ces trois œuvres sortent de la foule : c’est tout ce qu’on en peut dire.

Et voilà comment le groupe du Mercure de France se distingue dans l’ensemble des littérateurs de nos jours.

Sans vouloir nous piquer d’être complet, il nous faut dire un mot de l’enquête de Jules Huret publiée dans l’Echo de Paris durant l’année 1891 au sujet de l’Evolution Littéraire ;