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RECUEIL INTIME


Ainsi pleurait la voix au milieu des ténèbres.
Des marins, étonnés de ces strophes funèbres,
S’arrêtèrent pour écouter.
D’abord ils furent pris comme de lassitude ;
En vain du capitaine éclatait la voix rude ;
Pensifs, ils écoutaient chanter.

Comme ils étaient trop loin pour saisir les paroles,
Ils n’entendaient du chant que ses cadences molles,
Que sa tristesse et sa langueur.
Et, par la loi fatale innée en la sirène,
Ce chant leur apportait l’ivresse souveraine,
La volupté qui frappe au cœur.

Et maintenant le chef se tait. Et le pilote
Laisse aller le navire. Au gré de l’onde, il flotte
Entre les pointes de rocher.
Et le chant continue. En dehors on se penche.
On se sent une soif d’oubli que rien n’étanche.
On voudrait dans l’eau se coucher.

De plus en plus le chant devient rêveur et tendre,
De plus en plus chacun, afin de mieux l’entendre,