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IV

Le blasé

Zine se retrouva seule devant la terrasse grouillante. Elle s’en éloigna en imitant malgré soi, parce qu’on lui avait dit cela chic, la démarche guindée de la fillette à la canne.

Un peu grise de ses apéritifs, la jeune fille se sentait libre et satisfaite. Libre surtout en ce sens qu’elle refusait de se tenir liée désormais par le retour quotidien à la maison. Elle ne rentrerait pas, c’était entendu. Que ferait-elle ? Cela, c’était le secret de l’avenir, un secret souriant et charmant comme l’âme de Zine à cette heure. Elle ne construisait aucun plan, et aucun espoir ne lui semblait nécessaire. La vie se déroulerait sans effort. elle s’en tenait assurée.

Les yeux larges, la taille droite, elle s’en allait donc en faisant retourner quelques passants, tant une sorte de provocation sortait de son allure.

Derrière elle, le grand homme grisonnant à la face lasse, venait avec indolence. Il regardait curieusement cette enfant, dont la seule démarche dénonçait un de ces étranges et amusants mystères qu’on ne sait lire clairement nulle part ailleurs qu’à Paris.

Zine suivait le boulevard Saint-Martin. Elle s’arrêtait avec une sorte d’émotion devant tous les magasins de bijoutiers et de maroquiniers. Elle regardait alors un sac de cuir fauve avec de vastes initiales d’argent et se disait en fermant une seconde les yeux : « Il est à moi. » Ou bien, devant les étalages brillants d’or et de colifichets précieux, elle songeait : « Cette bague, je la veux. On me la donnera demain, et ce bracelet-montre, il fera bien à mon poignet. »