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Or, on ne trouve aucun bonheur à contrarier la force intime qui nous dirige et dont le ressort essentiel est l’amour. Vois-tu, Zine, les femmes qui ne veulent d’aucune qualité d’amour, ni purement érotique, ni professionnel, ni marital, ni autre, peuvent s’en vanter comme d’un exploit. Au fond, ce sont des malheureuses gens qui passent leurs nuits à remâcher la souffrance dont leur volonté les gave. Ils pleurent en cachette de désespoir et de haine. Leur vie est un martyre stupide, et qui s’aggrave de ce que personne ne les plaint.

— Mais, disait Zine — car cela ne semblait pour elle concerner que les femmes — que dire de celles qui font semblant d’être chastes et qui, au fond, s’en mettent jusque-là…

Et elle désignait un jusque-là des plus rares.

— Celles-là, Zine, sont parfois heureuses, car l’hypocrisie est une grande jouissance. Mais la plupart souffrent parce que le secret foncier de l’amour c’est le goût d’un triomphe visible. L’amour est toujours exhibitionniste en son essence. Qui se condamne à le vivre dans le mystère connaît donc de ce chef d’amers et cuisants regrets.

— Alors, concluait Zine, il faut que je me laisse vivre.

— Oui, surtout, tâche de comprendre les remous et les courants qui te portent. Choisis ! La vie vous offre souvent plusieurs sentiers ; c’est là qu’il faut méditer et éviter le malheur toujours embusqué dans quelque tournant. Où passer ? En tout cas, obéis surtout à ton élan intime. S’il te mène aux ennuis, tu les recevras plus joyeusement. Sache en plus faire un mélange bien habile de tes désirs et de ton intérêt. Là est le secret de la réussite et de la joie. Mais fuis l’intelligence et ses conseils, fuis les gens qui raisonnent et particulièrement ceux qui raisonnent bien. Sache, et rappelle-toi, qu’on ne saurait vivre heureusement sans sottises, absurdités, contradictions et déraison.

Et il terminait par ce conseil délicat :

— Apprends à jouir de tout et de toi-même. Je t’ai donné de petites leçons provisoires, mais il te faut une