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VIII

Le bon Yankee

Zine, douloureuse et blême, sentant à chaque pas grandir en sa chair une cuisson aiguë, s’assit à la terrasse du café avec l’amant qui venait de lui révéler « l’amour ». Elle n’avait pas dit un mot depuis le cri arraché par la souffrance et un dégoût profond la tenaillait dans son esprit bouleversé.

Que ne se trouvait-elle à l’atelier en train de rire joyeusement avec ses camarades ? De là elle rentrerait tout à l’heure chez sa mère qui l’accueillerait avec les injures habituelles, mais supportables, lorsqu’on les supporte depuis la naissance. Au lieu de cela, elle se croyait atteinte comme ces ouvriers qui apportent chez eux, après quelque accident, des blessures invisibles et terribles et ne peuvent plus travailler de leur vie. Car certainement l’autre — et elle lui jetait à la dérobée un regard haineux — avait démoli en ce frêle corps de seize ans quelque chose dont elle mourrait…

Et Zine remâchait sa peine craintive devant son vainqueur. Elle se sentait emplie de rancune, mais gardait le confus espoir d’une vengeance, quelque jour.

Elle en était, sur le conseil — qui, à vrai dire, était un ordre — de son amant, à sa troisième mixture dite apéritive, lorsqu’elle fut frappée par la mimique d’un jeune homme très blond, athlétique et rose qui, à quelques rangs de là, et derrière le dos du compagnon de Zine, s’efforçait d’attirer l’attention de la jeune fille,

D’abord, elle n’y fit pas attention. Mais il insistait d’un regard bleu, candide et audacieux, et elle répondit presque malgré elle, parce que la femme est coquette. Ce fut d’abord un clin d’œil, puis un sourire d’acceptation.

Il approuva. À ce moment-là, penché sur des journaux illustrés, l’ami de Zine oubliait le monde extérieur. Elle lui dit, avec une amertume qu’il ne perçut pas :