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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Plus de visites, plus de five o’clock, finie la vie mondaine. Il redevenait l’ingénieur Saldagne, il cessait d’être le flirt de Madame Villaret.

En même temps, il ressentait un vide douloureux, une détresse profonde : dans l’horreur nouvelle de sa solitude, l’image de l’aimée flottait devant ses yeux prêts à s’emplir de larmes. Elle lui apparaissait, telle qu’il l’avait vue pour la dernière fois au Ritz : un costume tailleur, très sobre, moulait les épaules harmonieuses et la jeune poitrine, atténuait la matérialité des hanches, tout en accusant la ligne des jambes. Les cheveux blonds tempéraient par leur douceur l’expression un peu hautaine du visage. Elle incarnait la Race, en elle revivaient les générations d’êtres de joie, transformées par la civilisation, affinées par l’amour : elle personnifiait la Française, telle que l’ont faite des siècles de luxures et d’adorations ; elle était, sous l’aspect éphémère d’une époque, la femme redoutable et mystérieuse… Mais délibérément il chassa l’image importune et se remit à contempler Marseille-la-Joyeuse. Il s’en emplissait les yeux, puis, les fermant, imaginait dans l’île lointaine d’irréels tableaux où la lumière si douce de ce midi d’hiver rayonnait sur des villes de rêve. C’étaient des maisons blanches à terrasses, étagées en amphithéâtres au-dessus de golfes bleus, bordés de palmes, ou d’étranges villages, avec des avenues de cocotiers, sur des plages inconnues, parsemées de coquillages roses.

Un tirailleur malgache, ordonnance de quel-